LA MAROUETTE PONCTUEE

 

 

Un matin de Septembre, après une petite pluie fine, je partis à l’affût des bécassines. Depuis la Sainte Madeleine, en juillet, j’en avais repéré un petit groupe , les vacances passèrent et à mon retour, elles étaient là, merveilleuses bécassines.
6 h 30, ciel dégagé après la pluie ; la lune dessinait mille miroirs dans l’eau et caressait les joncs qui ruisselaient de leur douce nuit. Un coup de bec par ci, un coup  de bec par là, consciencieusement elle sondaient la vase ; elles étaient trois dont une un peu plus grosse. Vers 8 heures le posemètre se réveillait  et le Nikon se mit à ronronner . Tout se déroulait normalement ; soudain une ombre se glissa à la lisière des joncs pareille à une couleuvre qui se love parmi la pierraille, une tâche blanche de chaque côté de la queue : serait-ce une poule d’eau ? non, trop petite ! puis ce plumage piqueté de neige ; ce petit corps pareil à celui d’un merle ; cette allure hésitante, ce silence ; mystère… Mon 400 ne fait  qu’un tour ; serait-ce… non voyons ; observons. Adieu les bécassines et tournons-nous vers cette belle inconnue.
Un japement de chien retentit au loin. Frout ! frout ! Tout s’estompa, dommage ! Mon Peterson sortit prestement de ma veste ; voyons : Rallidés : poule d’eau ? non ; blongios nain ? non ! juvénile ? Non plus . serait-ce un exemplaire de ces oiseaux craintifs que l’on appelle Marouette ? Attendons ! Vingt minutes passent, rien que le cri d’un cul blanc au loin, un campagnol amphibie vaque à ces occupations ; enfin une forme se dessine entre les joncs et se rapproche à pas comptés ; je l’observe attentivement ; oui c’est bien une marouette ponctuée : bec orange à base rouge, pattes verdâtres, dessus brun olive foncé, rayé et tacheté  de blanc, hochement de queue. Observons son comportement avant de photographier : une touffe de joncs en lisière reçoit sa visite et de son bec rouge elle avale une larve, un gastéropode et même un petit têtard , toujours hésitante elle lève la tête, écoute : rien ; elle fait quelques pas, picore puis comme un petit bolide rentre dans les joncs.
Disparue ! Non, la voilà dans une petite clairière, elle est là, faisant sa toilette avec minutie, lissant ses plumes, sans cesse aux aguets , d’un geste brusque, elle étale ses ailes vers le haut, les deux ensemble ; son repos dure environ une vingtaine de minutes ; sous le couvert des joncs notre marouette se sent en sécurité, calme, détendue. Puis elle recommence sa quête ; alors sa méfiance devient extrême ; elle refuse d’avancer au découvert ; si d’aventure elle s’y risque sa queue s’agite, son pas se presse et hop ! elle file dans les joncs. De temps en temps elle se consacre au bain, toutes les deux heures environ, et je crois qu’elle en éprouve un réel plaisir. Toujours au même endroit, dans un coin caché de la végétation, elle s’installe faisant gicler l’eau sur ses plumes : sa physionomie est transformée ; toutes les plumes de sa tête sont hérissées. Le bain dure environ deux à trois minutes, puis elle regagne son coin repos pour parfaire sa toilette et sécher ses plumes.
L’observation que j’ai décrite date de septembre 1983 ; quelques photos prises sans moteur avec mille précautions me rappellent cet oiseau magnifique.
En septembre 1984, un matin, un râle d’eau  fit jaillir son cri de cochon égorgé dans le marais, je l’observai, son bec rouge passant à vive allure dans les trouées de joncs ; un silence suivit. Surprise ! Notre marouette était fidèle au rendez-vous cette année encore. Du matin 8 heures jusqu’à 21 heures, à la lueur blafarde de la lune,  je décidai de passer toute ma journée avec notre amie. Mes réflexions se trouvèrent confirmées : caractère casanier, farouche, inquiétude permanente et surtout régularité de ses activités en dehors de sa période de nidification que je n’ai pas observée. Trois activités : quête de la nourriture dans un territoire restreint, repos dans les joncs et  bains pris tous dans une même flaque. Vers midi, notre amie aime se reposer et se toiletter et le soi, bien après que l’astre rouge ait dégringolé derrière le rideau de verdure, elle parut enfin à découvert mais sans trop s’éloigner (environ un à deux mètres du bord) ; au crépuscule, de 20 h à 21 h , elle ne s’inquiéta que de sa nourriture, n’hésitant pas à poursuivre une petite grenouille. Puis le mystère de la nuit engloutit de sa nappe noire notre marouette dont seules les tâches blanches semblaient me faire des signes d’adieu.
A l’année prochaine, peut-être…
  retour vers parutions
A.LABAT
TELEOBJECTIF n° 23